Quand “trop compétente” devient un frein : le piège de l’expérience féminine
La semaine dernière, j’ai découvert un concept qui m’a fait tilt : le Women’s Experience Trap. Et en creusant, je me suis rendu compte que je n’avais jamais regardé les choses sous cet angle-là. Alors j’ai fait des recherches supplémentaires… et comment vous dire, mesdames : prendre de l’âge ne sera pas désagréable seulement parce que nos lendemains de soirée seront plus durs.
C’est aussi parce que, dans le monde du travail, l’expérience féminine devient parfois un handicap. Pas une impression, pas une parano : un phénomène documenté, chiffré, comparé aux trajectoires masculines.
Compétence : applaudie chez les hommes, suspecte chez les femmes
Prenons une situation simple : une réunion tendue.
Un homme prend la parole, tranche, impose une vision → on dit de lui qu’il est charismatique, visionnaire, “un vrai meneur”.
Une femme fait la même chose, avec la même assurance → on la juge froide, autoritaire, “difficile à manager”.
Ce double standard est au cœur du problème. La Role Congruity Theory (Eagly & Karau, 2002) l’explique bien : les rôles de pouvoir (leadership, décision) sont socialement associés à des qualités “masculines”. Quand une femme adopte ces comportements, ça crée une dissonance dans la perception → elle est évaluée négativement, non pas pour ses compétences, mais pour ne pas coller au rôle attendu.
Les recherches de Rudman & Glick (2001) confirment ce biais : les femmes leaders sont jugées plus dures et moins aimables que les hommes pour un profil identique. Le fameux backlash : on sanctionne une femme pour les mêmes comportements qu’on récompense chez un homme.
👉 Comparatif clair :
Compétence + assurance chez un homme = légitimité.
Compétence + assurance chez une femme = menace.
Le plafond de verre : vitrine mixte, coulisses masculines
Sur le papier, la France adore afficher des chiffres qui brillent. Et c’est vrai : dans les conseils d’administration du CAC 40, les femmes représentent 46 % des sièges (IFA/Ethics & Boards, 2024). Ça a presque doublé en dix ans, grâce à la loi Copé-Zimmermann.
Mais ce chiffre flatteur cache une réalité beaucoup moins glamour : dans les comités exécutifs et les directions générales (là où se prennent les décisions opérationnelles, où se gèrent les budgets, où se définit la stratégie), les femmes plafonnent à 28–30 %. Les hommes occupent toujours environ 70 % des sièges.
Autrement dit :
En vitrine (CA) → parité presque atteinte.
En coulisses (comex) → domination masculine massive.
👉 Et ça, ça change tout : les femmes sont visibles dans les organes de gouvernance, mais pas là où se décide le futur de l’entreprise.
Salaire : l’expérience ne paie pas pareil
Là encore, les chiffres parlent. En 2023, selon l’INSEE :
Dans le secteur privé, les femmes gagnaient en moyenne 22,2 % de moins que les hommes.
Même en ajustant à temps de travail équivalent, l’écart reste à 14,2 %.
Ce n’est pas une “différence de choix” ou de “négociation salariale” uniquement : plus on monte dans les postes à responsabilité, plus l’écart s’accentue, car les emplois les mieux rémunérés (finance, direction générale, tech) restent occupés majoritairement par des hommes.
👉 En clair : tu peux accumuler de l’expérience, délivrer des résultats, porter une équipe… tu seras statistiquement moins rémunérée que ton collègue masculin au même niveau.
Âge + expérience = double peine
Et quand on ajoute l’âge, le tableau devient encore plus brutal.
En France, le Défenseur des droits (2024) révèle que 1 senior sur 4 dit avoir déjà été discriminé à l’embauche en raison de son âge. Les motifs avancés : “trop cher”, “pas assez adaptable”, “profil surqualifié”.
Mais attention : l’impact n’est pas le même selon le genre.
Un homme senior est perçu comme sage, “mentor naturel”, “pilier de l’entreprise”.
Une femme senior est vite cataloguée comme rigide, “pas assez flexible”, “trop compétente pour qu’on puisse la manager”.
👉 Résultat : là où l’âge renforce la légitimité masculine, il devient un prétexte pour écarter les femmes expérimentées.
Quand les hommes avancent (pendant qu’on freine les femmes)
Au niveau européen, la tendance est la même. En 2023, selon Eurostat :
Managers hommes : 6,3 millions
Managers femmes : 3,7 millions
👉 Presque deux fois plus d’hommes aux manettes.
Et attention : même quand les femmes accèdent au management, elles sont souvent orientées vers des fonctions dites “support” (RH, communication, RSE, accompagnement des équipes). Des rôles utiles, mais moins visibles et moins stratégiques. Pendant ce temps, les hommes héritent plus fréquemment des postes de direction opérationnelle (finance, production, stratégie), ceux qui mènent au sommet.
Bref, même à compétences et expérience équivalentes, les trajectoires divergent.
Ce qui aide et ce que la recherche suggère
Alors, on fait quoi ?
Nommer le biais : dire “trop compétente” n’est pas neutre. C’est un biais sexiste, une façon polie de dire “tu déranges parce que tu es au-dessus de la moyenne”.
Objectiver la compétence : une étude récente (Feng et al., 2025, Journal of Applied Psychology) montre que quand la compétence est démontrée par des résultats clairs et indiscutables, elle agit comme un bouclier contre le backlash. Exemple concret : appuyer ses interventions de chiffres, publier ses résultats, documenter ses réussites.
Réseaux et sponsoring : les carrières avancent plus vite quand des pairs (femmes et hommes) te recommandent, t’ouvrent des portes, valident publiquement ta légitimité. C’est injuste qu’on en ait besoin, mais c’est une stratégie efficace.
Les règles changent les chiffres : la loi Rixain (2021) impose 30 % de femmes cadres dirigeantes d’ici 2026 et 40 % d’ici 2029. La directive européenne 2022/2381 pousse les conseils d’administration à atteindre 40 % d’administratrices d’ici 2026. Là où les quotas existent, les résultats suivent. Preuve que ce n’est pas “culturel” mais structurel.
Hygiène mentale : parce que porter ce poids épuise, il faut se préserver : trouver des espaces où on n’a pas besoin de se justifier, travailler son syndrome de l’imposteur inversé, se rappeler que ce n’est pas toi qui es “trop”, c’est le système qui est trop étroit.
Conclusion
Tu n’es pas “trop compétente”.
Tu es exactement assez compétente pour mettre en lumière les failles d’un système qui préfère protéger certains hommes plutôt que de reconnaître ton expérience.
Et si on nous perçoit comme une menace, c’est parce qu’on est une preuve vivante qu’une autre manière de faire est possible.
Notre expérience n’est pas un handicap. C’est notre meilleure arme. Et c’est bien pour ça qu’elle fait peur.
Les sources
Role Congruity Theory (Eagly & Karau, 2002)
🔗 https://en.wikipedia.org/wiki/Role_congruity_theory?utmRudman & Glick (2001), Backlash toward Agentic Women
🔗 https://compass.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1751-9004.2010.00306.x?utmIFA / Ethics & Boards – données sur la représentation des femmes dans les conseils et comex (2024)
🔗 https://www.ethicsandboards.com/?utmINSEE – Écarts de salaires femmes-hommes (2023)
🔗 https://www.insee.fr/fr/statistiques/7126897?utmDéfenseur des droits – Rapport 2024 sur les discriminations des seniors dans l’emploi
🔗 https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/publications/2024/05/les-discriminations-des-seniors-dans-lemploi?utmEurostat – Managers femmes/hommes dans l’UE (2023)
🔗 https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/w/ddn-20240306-1?utm_sourceFeng et al. (2025), Journal of Applied Psychology – “Competence shield”
🔗 https://www.ioatwork.com/displaying-competence-shields-women-from-leadership-backlash/?utmLoi Rixain (2021) – quotas femmes dirigeantes
🔗 https://www.vie-publique.fr/loi/277357-loi-du-24-decembre-2021-acceleration-delegation-economique-des-femmes?utmDirective européenne 2022/2381 – équilibre hommes-femmes dans les conseils d’administration
🔗 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A32022L2381&utm